L’Islam et le foulard en Belgique. Une vue d'ensemble.

Etienne Vermeersch

A cause d’un certain nombre de mesures prises par des écoles ou des réseaux d’écoles, et à la suite de déclarations faites par des personnalités marquantes, la discussion au sujet de l’acceptation ou de l’interdiction du port du foulard islamique se trouve, depuis 2009, à nouveau au centre des préoccupations en Belgique, plus particulièrement en Flandre.

 

Souvent les débats qui en résultent ne brillent pas par la précision et la clarté. Ainsi certains prétendent que l’intention existe de ‘bannir toute manifestation religieuse de l’espace public’, ce que jamais personne n’a proposé en Belgique, à l’exception d’un seul individu d’extrême droite. La crainte est exprimée de ce que ‘le principe de la liberté des cultes’ ne soit remis en cause, alors qu’il s’agit d’une discussion qui se limite à trois coutumes bien précises: (a) le port du foulard ‘hijab’ par des fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction, (b) le port du foulard par les élèves dans les écoles fréquentées par des mineurs ; (c) le port du voile qui couvre le visage (type niqab ou burqa) dans certains ou dans tous les espaces publics..

La confusion dans le débat s’exprime d’autre part par le fait que dans bon nombre d’exposés, seuls quelques aspects du problème, souvent les mêmes, sont mis en lumière. Le contexte plus large au sein duquel cette matière à conflit doit être située, n’est pas pris en compte.

Le texte qui suit a pour but d’élargir l’angle de vue, en considérant autant que possible tous les problèmes connexes et d’analyser en profondeur tous les arguments pour ou contre l’interdiction du voile ou foulard.

1. La liberté de religion et l’islam

a.  La liberté de religion, tout comme la liberté de pensée et d’expression, est garantie par la ‘Déclaration universelle des droits de l’homme’ (1948), par le ‘Traité international en matière de droits civils et politiques’ (1976),  par la ‘Convention européenne des droits de l’homme’ (CEDH, 1950) et par la Constitution belge.

La liberté en matière de religion ou de conviction inclut également « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites » (art. 9 CEDH).

Ces libertés ne semblent poser que peu de problèmes aux religions traditionnellement établies en Europe, en ordre principal aux différentes dénominations chrétiennes. Leurs règles se rapportent surtout aux doctrines de la religion qu’il y a lieu d’accepter, à des pratiques et des rites qui s’accomplissent soit en privé soit dans des espaces collectifs, des églises par exemple, ainsi qu’à des normes de comportement qui ont trait à la vie privée ou qui concordent parfaitement avec les normes traditionnellement en vigueur ici.

b. L’Islam, en revanche, nous confronte en matière de ces droits à un problème complètement nouveau. Les règles de l’Islam s’appliquent à l’ensemble de la vie en société, ce qui a donné naissance dans les pays musulmans à une forme particulière de droit et de justice : la charia.  L’aspect ‘manifestation publique’ de la qualité de musulman ou de musulmane a un impact social bien plus important que ce n’est le cas pour le christianisme.

Dès lors la diffusion de l’islam dans les sociétés européennes provoque inévitablement une zone de tension, étant donné que les règles islamiques peuvent être opposées à ce qui y est généralement admis. La question se pose donc dans quelle mesure la manifestation concrète de la religion telle qu’elle est garantie par la liberté des cultes, s’applique entièrement au large éventail de règles, coutumes et attitudes qui caractérisent l’islam.

c.  Dans les milieux islamiques également, certains sont conscients de ce problème. Sous l’impulsion de la République islamique d’Iran, les ministres des affaires étrangères de 45 états islamiques ont adopté au Caire le 5 août 1990, dans le cadre de l’Organisation de la Conférence islamique une Déclaration du Caire des Droits de l’Homme dans l’Islam. L’OCI compte pour l’heure 56 pays membres, qui sans doute approuvent tous cette Déclaration. (Nos concitoyens qui possèdent également la nationalité marocaine ou turque sont donc supposés, du moins d’un point de vue formel, accepter cette déclaration.) Le texte suit dans une large mesure l’enchaînement des articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, mais y ajoute pour certains articles la restriction « dans les limites de la charia ».  En particulier l’article 24 stipule: « Tous les droits et les libertés stipulés dans la présente Déclaration sont soumis à la charia islamique » et l’article 25: « La charia islamique est la seule source de référence pour l’explication ou la clarification des articles de la présente Déclaration ».  Une telle dérogation manifestement limitative du texte de la Déclaration Universelle, partant également de celui de la CEDH, illustre parfaitement que les normes et valeurs au sein du monde de l’Islam, ainsi que leur application, sont considérablement différentes de celles du reste du monde et en particulier de celles de l’Europe. Une pratique conséquente de leur religion de la part des musulmans peut donc logiquement résulter dans certains cas en une violation de nos droits de l’homme

 d. Les difficultés qui en résultent  apparaissent clairement lorsqu’il s’agit de normes qui se trouvent être radicalement opposées aux législations européennes.

(1) Le Coran approuve explicitement la polygynie (Sourate 23, v. 1-6 en S 4, 4) : Il est permis à l’homme d’avoir des rapports sexuels avec quatre épouses et un nombre indéterminé d’esclaves. Un homme peut épouser une jeune fille impubère (S 65, 4). Un homme a le droit de répudier sa femme, alors que le contraire est impossible (S 65, 1). Le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes (S 3, 282).  La quotité disponible pour la femme dans un héritage est la moitié de celle de l’homme (S 4, 176). En cas de désobéissance, l’homme a le droit de châtier sa femme (S 4, 34). L’apostasie est punie par la peine de mort (S 9, 11-12; hadiths chez Bukhari et Abu Dawud). L’adultère est, en accord avec la charia, en maints endroits sanctionné par la lapidation.

Il semble évident que l’article 9 de la  CEDH garantissant le droit à observer ‘les lois et les pratiques’ d’une religion ne peut, dans une telle optique, être valable dans son intégralité.

(2) Un problème analogue s’exprime d’une façon plus subtile, lorsqu’il s’agit de comportements ou d’attitudes que beaucoup de fidèles croient pouvoir déduire du Coran ou de la Sunna (c. à. d. les règles puisées dans les paroles et les actes du Prophète) et qui, sans être toujours contraires à nos lois, s’opposent aux règles de comportement généralement admises dans nos pays.

Le devoir d’obéissance de la femme à son mari; le droit du père à choisir un époux pour sa fille ou à refuser le choix fait par elle; la coutume de donner les filles en mariage à un âge très précoce; le droit de garde au profit de l’époux, après répudiation de la femme, sur les garçons à partir de 7 ans et sur les filles à partir de 12 ans;  l’autorité des frères sur leurs sœurs; la répugnance de certains hommes à travailler sous l’autorité d’une femme; le refus d’un homme de laisser traiter sa femme par un médecin masculin; le refus de serrer la main d’une femme; le refus de la natation mixte; le refus de sauveteurs masculins lors de séances de natation réservées exclusivement aux femmes; le refus d’un club de football musulman à jouer contre un club ‘gay’ lors d’un match prévu au calendrier des compétions; la pression des parents sur leurs filles afin de porter le foulard; la revendication de femmes musulmanes à pouvoir toujours porter le foulard, en dépit de codes d’habillement; la revendication croissante de pouvoir porter partout un niqab (voile devant le visage), un jilbab ou djellaba (longue robe avec ou sans capuchon) ou une burqa; la revendication d’un espace de prière séparé dans les écoles et autres institutions; la revendication d’être servi toujours, dans des réfectoires collectifs, de la viande halal; la revendication de ne pas avoir à suivre des cours où sont enseignés la théorie de l’évolution, l’éducation sexuelle, la shoah, etc;  le fait de présenter l’homosexualité comme une abomination; etc, etc.

(3) Certes, beaucoup de musulmans reconnaissent que nos sociétés ne peuvent que difficilement accepter, ou même ne pas accepter du tout, certaines de ces coutumes ou manières de vivre. Néanmoins certains voudraient pratiquement toutes les maintenir et nombreux sont ceux qui n’admettraient pas de renoncer à quelques unes d’entre elles. Devant une telle situation il semble plutôt artificiel de continuer à se référer à la ‘liberté de religion’, alors qu’il s’agit en fait de situations conflictuelles, qui exigent à tout le moins que le pour et le contre de l’acceptation d’une coutume particulière soit examiné.

Cet examen pourra prendre en considération plusieurs aspects. (i) Dans quelle mesure la règle litigieuse appartient-elle aux caractéristiques essentielles de la religion. (ii) Dans quelle mesure, lorsqu’il s’agit de règles secondaires, l’unanimité règne-t-elle à leur sujet auprès des musulmans. (iii) Dans quelle mesure un certain type de comportement se heurte-t-il à des objections plus ou moins solides de la part de la société autochtone. (iv) Dans quelle mesure une règle limite-t-elle la liberté individuelle et l’épanouissement de l’individu. (v) Dans quelle mesure une règle donne-t-elle naissance à de l’intimidation ou à de la pression de groupe. (vi) Dans quelle mesure l’application d’une règle résulte-t-elle en des contraintes d’ordre financier ou organisationnel.

Quelques exemples. (i) Les ‘cinq piliers de l’islam’ sont sans nul doute plus importants que les règles vestimentaires. (ii) Des recherches tant historiques qu’anthropologiques démontrent que les règles vestimentaires ont été et demeurent interprétées de façons différentes. (iii) Les arguments pèsent plus lourdement en faveur de l’interdiction de symboles religieux dans l’exercice de fonctions officielles que ceux en faveur d’une interdiction complète sur la voie publique. (iv) La décence en matière d’habillement et de maquillage ne freine nullement l’épanouissement individuel, ce qui est bien le cas lorsque l’on évite le contact avec des personnes d’opinions ou de cultures différentes. (v) Les règles concernant des aspects extérieurs, tels que l’habillement, sont davantage susceptibles à provoquer l’intimidation, que des éléments de la vie personnelle, comme la prière privée. (vi) Proposer dans des réfectoires collectifs de la viande halal et non halal, afin de satisfaire aussi bien les musulmans que les protecteurs des animaux qui s’opposent à l’abattage sans anesthésie, constitue une surcharge pour l’organisation. Ce qui n’est pas le cas quand il s’agit d’adaptations à ceux qui s’interdisent les boissons alcoolisées.

En résumé.  Que les droits fondamentaux en matière de liberté de religion soient applicables à toutes les règles édictées au nom de l’islam, n’est nullement évident.  Des remarques critiques au sujet de certaines règles et coutumes peuvent avoir de sérieuses raisons. L’argumentation à leur sujet devient irresponsable lorsque les objections sont attribuées systématiquement à l’intolérance, au machisme, à l’islamophobie ou au racisme.

(4)  En ce qui concerne le foulard nous pouvons démontrer (voir ci-après): (a) qu’il s’agit en matière d’obligations religieuses tout au plus d’une règle secondaire, même dans les cas où il est prôné (b) au sujet de laquelle n’existe pas l’unanimité, ni dans la tradition Sunna, ni dans la pratique; (c) contre laquelle de solides arguments existent par rapport à son usage dans les services publics; (d) ainsi que de sérieuses objections en ce qui concerne son port dans les écoles fréquentées par des mineurs.

Les critères d’appréciation mentionnés ci-dessus, ‘1.d. (3) i – vi’, n’ont aucun caractère de ‘tout ou rien’. Il est impossible de conclure sans plus que les droits prévus dans l’article 9 de la CEDH (et dans les textes similaires) seraient violés dans le cas d’une interdiction. Ce que les instances judiciaires décideraient dans des cas particuliers demeure incertain jusqu’à ce jour (15/02/2010).

Si le pouvoir judiciaire décidait que ces droits sont remis en cause (comme le suggère l’avis d’un auditeur du Conseil d’Etat en date du 8 septembre 2009), la seule alternative serait de prendre une mesure générale, de préférence au moyen d’une loi ou d’undécret, afin de fournir une base solide aux décisions à prendre. Au demeurant, les points de vue divergents dans le débat public prouvent qu’il s’agit d’une matière compliquée.

Les autorités se débarrassent de façon intolérable de leur responsabilité lorsque, dans une telle situation problématique, elles laissent les directions d’école extraire les marrons du feu, en les abandonnant à leur sort avec le risque d’être poursuivies par des campagnes haineuses ou d’être rappelées à l’ordre par un juge.

Les parlementaires doivent donc d’urgence créer le cadre dans les limites duquel l’interdiction du port du foulard est acceptable, tout en recommandant une solution aussi uniforme que possible dans les écoles. Une recommandation analogue est souhaitable en ce qui concerne certaines fonctions du service public.

2. Le voile: éléments historiques, culturels et anthropologiques

a. En matière d’habillement, le Coran dit :

S 7, 26: « Nous avons fait descendre sur vous un vêtement qui cache votre nudité, ainsi que des parures. Mais le vêtement de la crainte révérencielle de Dieu (ou « raiment of righteousness » est meilleur ! »

S 24,31 « Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes (ou : « protect their private parts »), de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît, de rabattre leurs voiles (khimârs) sur leurs poitrines (…) ».

S 33,59  « Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de ramener un pan de leurs voiles (jalabib) sur elles (ou : « to draw their cloaks round them »). C’est le meilleur moyen pour elles de se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées. »

(souligné par EV).

Ces vers du Coran ont au cours des siècles mené vers différentes interprétations et coutumes. (Ils ont aussi déjà suscité des dizaines de milliers de sites Internet). De toute façon ils se prêtent aux conclusions suivantes : (i) les types d’habillement sont d’importance secondaire: il y a lieu de se vêtir en premier lieu de crainte révérencielle de Dieu ou de vertu. (ii) la règle n’impose ni voile ni foulard, étant donné que le texte s’en réfère au ‘khimâr’ qui existait déjà. (Le khimâr était probablement un vêtement qui drapait le corps depuis la tête ou du cou, mais laissait les seins partiellement nus. Que la tête fût couverte était le cas dans de nombreuses cultures et était, dans le désert, tout à fait normal. (iii) le pubis et les seins devaient être couverts. (iv) « à ne faire paraître de leurs charmes que ceux qui ne peuvent être cachés » est dit sans autre précision et peut être compris différemment d’une culture à l’autre. (v) le fait de devoir couvrir le cou et les cheveux n’est pas mentionné dans le Coran. (vi) les déclarations attribuées au Prophète à ce sujet (les ‘hadiths’) n’ont été notés que plus de deux siècles plus tard et se contredisent souvent, ce qui rend leur authenticité sujette à caution.

Les règles à propos desquelles le Coran s’exprime d’une façon parfaitement claire (couvrir pubis et seins), ne peuvent, même lorsqu’elles sont suivies à la lettre, susciter de problèmes dans notre culture.

b. Le savant progressiste musulman Malek Chebel (Manifeste pour un islam des lumières : 27 propositions pour réformer l’islam) soutient qu’au cours des trois premiers siècles de l’islam peu d’importance était accordée à l’habillement féminin et que seulement plus tard des ulémas misogynes ont introduit des règles plus strictes. En la matière il y eut une tendance dominante (les ‘rites’ - écoles de droit - Chafeïtes,  Malekites et Hanbalites) : elles décrétèrent que la femme devait de préférence rester chez elle et devait se couvrir complètement lorsqu’elle sortait (avec tout juste une fente pour les yeux). Seuls les Hanefites (e. a. en Turquie) et les Jafarites Chiites (e. a. en Iran) permettaient que le visage et les mains demeurassent visibles. Dès lors les adeptes du niqab (voile devant le visage) et de la burqa bénéficièrent du soutien de la majorité des savants islamistes traditionnels. A partir du 12ième et jusqu’au 19ième siècle la tenue de rigueur des femmes en Afrique du Nord était celle-là, à tout le moins dans les villes.

D’après une Déclaration des ulémas réunis (docteurs de la loi islamique) de l’Arabie Saoudite en 1974 (sic) (Comptes rendus des colloques de Riyad…) le port du voile était réservé aux femmes libres, afin de les distinguer des esclaves et de faire ainsi « qu’elles ne soient pas importunées ». Le voile aurait donc eu pour but de maintenir une discrimination esclavagiste et de perpétuer le statut de disponibilité sexuelle des captives.

c. Lorsque toutefois la situation réelle en matière d’habillement est examinée d’un point de vue d’histoire et d’anthropologie comparées, le constat d’une grande diversité s’impose. Sur les miniatures persanes et les peintures moghol indiennes, les femmes portent d’élégants couvre-chefs (les hommes aussi d’ailleurs); en général les tresses de cheveux et le cou demeurent visibles, souvent même complétés d’un décolleté. Les récits de voyage et d’autres documents démontrent que depuis le 19ième siècle dans beaucoup de pays musulmans le foulard, dans la mesure où il était porté, ne cachait qu’une partie de la chevelure et que le cou, avec ses bijoux, demeurait bien visible. En se limitant aux femmes musulmanes en Palestine, une différence se faisait remarquer entre la partie des cheveux visibles et la profondeur du décolleté, concernant des villes aussi proches que Jaffa, Bethlehem et Ramallah.

d. Depuis la fin du 19ième siècle, l’habillement voilé a été perçu comme une caractéristique de l’exclusion des femmes de la vie publique. Le précurseur en la matière, Qasim Amin écrivait en 1899 « L’émancipation de la femme », dans lequel il argumentait que les règles vestimentaires n’avaient rien à voir avec le véritable islam. A partir de 1923 se fut au tour de Mustafa Kemal Atatürk de s’exprimer de façon très négative au sujet de ces prescriptions. Au début du 20ième siècle, de nombreuses femmes musulmanes progressistes ont considéré l’abandon du voile comme le symbole de la lutte contre l’oppression de la femme (1923, Huda Shaarawi au Caire; ensuite Ibtihaj Kadura au Liban, Adila al-Zarairi en Syrie, Habiba Manshari en Tunisie, etc.).  Cette tendance, faisant disparaître d’abord le niqab et ensuite le foulard, s’est poursuivi jusqu’aux années soixante-dix. Dans des documentaires consacrés aux fêtes de l’indépendance en Algérie (1962) l’on voit des groupes importants de jeunes femmes sans foulard. Au Caire, vers 1980, le foulard avait pratiquement disparu.

e. En Iran, lors des évènements de 1979, les femmes portaient le tchador en signe de résistance au Shah. Plus tard elles y furent contraintes, sous la menace de 80 coups de fouet, dans le cadre du retour à un mouvement fondamentaliste. Bien que l’Iran est Chiite, c’est l’ensemble du monde musulman, toutes obédiences confondues, qui a été fasciné par le retour vers une tradition islamique permettant de former un véritable état islamique. Déçus par l’échec des réformes socialisantes de Nasser et des partis Baath, les Frères Musulmans en Egypte et les salafistes d’Arabie Saoudite se sont joints au mouvement. A la suite de cette aspiration à un islam radical, un nouveau type de foulard a été propagé tant dans le monde musulman qu’en Occident, le hijab al-Amira. Ce foulard, habituellement en deux pièces, couvre entièrement les cheveux et le cou. Beaucoup de jeunes musulmanes pensent qu’il s’agit là de l’authentique foulard musulman, ce qui prouve qu’elles n’ont qu’une connaissance limitée de la culture islamique, y compris de l’habillement. Ainsi à Gaza, le Hamas est occupé à remplacer le splendide habillement palestinien traditionnel par l’uniforme du hijab, participant ainsi à la propagation universelle de ce type de foulard qui annonce la fin d’une riche diversité et donc une coupe rase culturelle, sans précédent dans le monde islamique.

f.  Au Caire le foulard prévaut à nouveau, sans pour autant s’être généralisé. De nombreuses femmes progressistes, surtout parmi les intellectuelles, (dont Rania, la reine de Jordanie) ne portent pas le foulard. Sur un site internet international qui favorise les contacts en vue d’un mariage entre musulmans croyants, seules 32 % des centaines de musulmanes adhérentes portent le foulard (www.muslima.com ‘women’s gallery’).  Les hôtesses de l’air des Emirate Airlines et des Qatar Airlines, donc d’états islamiques, ne portent pas le hijab et leurs cheveux et cou demeurent visibles. Trouverait-on donc au sein de ces compagnies aériennes, des racistes, des intolérants, des islamophobes ?

Soheib Bencheickh, le grand mufti de Marseille a écrit: « Si le voile empêche les femmes d’étudier et de travailler, qu’elles l’ôtent et qu’elles restent pudiques. L’islam n’est pas là pour pousser nos filles à l’ignorance ou au chômage ».

L’ambassadeur du Maroc en Belgique a pour sa part déclaré le 29 septembre 2009 dans LeVif/L’Express : « Le voile n'est pas nécessairement islamique. Il est surtout l'expression d'une affirmation identitaire, conséquence d'un réel mal-être au sein de la société, en l'occurrence, au sein de la société belge. Les contenus qu'il véhicule s'avèrent très nombreux. Il faut donc relativiser cette notion de ‘voile islamique’ ».

g. Conclusion    

(1) Les passages du Coran et des hadiths qui traitent de l’habillement ont mené vers une très grande diversité d’interprétation, tant auprès des docteurs de l’islam que dans le comportement pratique des femmes. Cette diversité est tellement grande qu’il ne peut être question d’une règle univoque. Il serait des lors hasardeux de s’y référer afin d’évoquer une violation de la liberté de religion. (voir ci-dessus, ‘1. d. (3) (ii)’).

(2) Alors que le voile et plus tard le foulard ont été indubitablement et très longtemps considéré par les musulmanes progressistes comme des symboles d’oppression, cela ne semble plus tellement être le cas à présent, de toute façon en Occident. La plupart des musulmanes ne connaissent pas l’histoire de la femme en islam; au contraire, à la suite d’un enseignement trompeur elles en ont une image complètement tronquée. Elles ne peuvent pourtant pas ignorer qu’encore maintenant dans beaucoup de pays musulmans le port d’un certain type de vêtements est imposé brutalement: à coups de fouet en Iran et au Soudan; avec de l’acide sulfurique lancé au visage en Algérie ; avec des coups de fusil au Cashmir, avec des sévices en Afghanistan, au Pakistan, etc. Ces pays démontrent que le slogan ‘je suis le maître de ma propre tête’ ne relève pas de la tradition islamique.

Étrangement, et même tristement, les musulmanes de chez nous ne se solidarisent que peu ou pas avec les femmes qui sont maltraitées pour des raisons d’habillement. Des interprétations, par ailleurs douteuses, de textes, semblent prendre le pas sur la compassion avec les souffrances de leurs sœurs musulmanes.

(3) En tenant compte de la diversité mentionnée ci-dessus, le port du hijab de type al-Amira, qui met l’accent  sur la couverture du cou et des cheveux, est sans aucun doute une expression et dès lors un symbole d’une interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna: on s’en réfère constamment aux mêmes versets, en y joignant les commentaires négatifs envers les femmes que des ulémas misogynes leur ont donné depuis des siècles. Beaucoup de jeunes musulmanes de chez nous ignorent cet aspect : dès leur enfance l’interprétation litigieuse leur a été présentée comme évidente. Il en va d’ailleurs de même pour lecréationnisme, considéré par beaucoup comme étant une partie intégrante de l’islam. Les principaux responsables de cette situation sont leurs professeurs de religion et les imams. Toutefois, notre compréhension et même nos scrupules envers ces jeunes induits en erreur, ne peuvent nous empêcher de les confronter avec la vérité.

(4) Chacun a le droit de se définir comme fondamentaliste  - c. a. d. de vivre selon la lettre du Coran, suivant une lecture traditionnelle -  mais en s’affichant ainsi ouvertement, le soupçon grandit d’une interprétation fondamentaliste d’encore d’autres versets du Coran. Une telle lecture des textes mène à l’acceptation du devoir d’obéissance de la femme envers son mari, du droit de l’homme à la châtier, du droit du père à choisir un mari pour sa fille, de l’autorité du frère sur ses sœurs, de l’acceptation de mariages d’enfants impubères, d’une homophobie absurde, de la négation de la Shoah, du refus de la théorie de l’évolution, etc.

(5) Toutes ces considérations mènent à la conclusion évidente que dans des environnements où une fréquentation non-provocatrice avec des personnes d’opinions différentes doit être la règle, - ainsi p. ex. au sein d’une école, ou partout où des personnes exercent l’une ou l’autre forme d’autorité -  de telles expressions de radicalisme demeurent inadmissibles.

3L’islam et le voile dans la société belge

a.  Jusqu’aux années mil neuf cent cinquante, la marque d’une religion (le catholicisme) faisait partie intégrante de la société. Non seulement il y avait le cloisonnage, avec la prépondérance (en Flandre) du bloc catholique, mais même des instances supposées neutres, ne l’étaient pas toujours. Ainsi, les tribunaux confrontaient les visiteurs avec de grands crucifix. La formule du serment se terminait par les mots « Ainsi m’aide Dieu ». La paix scolaire, le droit à la régulation des naissances, à l’avortement, ne furent acquis qu’après d’âpres luttes entre croyants et non-croyants. Les déclarations d’évêques en matière de questions éthiques, politiques ou autres avaient une grande influence. Les prêtres et les religieux, surtout les religieuses, portaient des vêtements marquants qui leur valaient un respect particulier. Dans les écoles catholiques (la grande majorité des écoles en Flandre) les exercices religieux étaient permanents, du matin au soir, y compris le dimanche. Les personnes s’étant remariées après divorce étaient éloignées des institutions catholiques, etc.

b.  La seconde moitié du vingtième siècle a été le théâtre d’un processus de sécularisation, qui a permis que l’opposition entre croyants et non-croyants disparaisse peu à peu de la vie publique.

La pratique religieuse a rapidement régressé et l’autorité de la hiérarchie catholique s’est affaiblie. La loi sur l’euthanasie fut adoptée avec moins de difficultés que la loi sur l’avortement. Les débats sur les problèmes de religion se poursuivent dans des circuits appropriés, mais dans la vie de tous les jours et certainement dans la vie professionnelle, la confrontation entre des vues philosophiques différentes n’est plus de mise. Demeure uniquement le respect pour les opinions d’autrui dans leur vie privée et pour l’expression collective de ces opinions entre personnes de même croyance ou opinion. Même les prêtres et les religieux se sont ralliés à cette évolution, en ne portant presque plus d’habillement distinctif.

Cette forme de pacification par voie de sécularisation constitue un acquis précieux. Elle ne porte d’aucune façon atteinte à la liberté d’opinion et à son expression, étant donné que suffisamment de media permettent de défendre ses propres opinions, sans les imposer à d’autres.

La première génération d’immigrés musulmans n’a pas remis en question cette sécularisation. Ils sont demeurés fidèles à leur religion sans le manifester d’une façon trop forcée. Les femmes au travail portaient souvent un léger foulard, comme ils en avaient l’habitude dans leur pays d’origine. Cela n’offusquait personne. Les filles qui poursuivaient des études ne portaient pas le foulard.

c.  Depuis les années 80, sous la pression du mouvement fondamentaliste (L’Iran, les Frères Musulmans, les salafistes) une affirmation plus forte de l’identité musulmane s’est manifestée. Elle a été stimulée par les évènements internationaux (tels que les attentats du 11 septembre 2001). De par ce fait, les matières conflictuelles telles que décrites sous ‘1. b. c. d.’ sont devenues de plus en plus actuelles. Ce mouvement mondial s’est introduit chez nous dans les écoles et les mosquées, par le biais del’enseignement religieux et sous l’influence de certains imams. La première manifestation concrète en a été la progression duhijab al-Amira.  La population ne s’en est rendue compte que lorsqu’elle a constaté le port de plus en plus important par des fonctionnaires ou par une partie grandissante d’écoliers généralement mineurs.

Ceux qui imputent le problème à une réaction anti-islamique de la population autochtone, inversent les choses, sans doute inconsciemment. Le processus de sécularisation, qui a permis la pacification des oppositions philosophiques en bannissant de la vie publique toute forme de manifestation indue, a été une évolution heureuse, réalisée sans aucune contrainte.

C’est justement ce processus qui s’est trouvé remis en question par les influences salafistes d’enseignants religieux qui incitent des enfants à propager des interprétations islamiques surannées en portant le hijab. Les règlements scolaires en matière d’habillement, tels que l’interdiction générale de porter un couvre-chef en classe, naguère acceptés sans problème, font désormais l’objet de vives protestations.

L’on semble ne pas se rendre compte de ce que la lente évolution vers une société pacifiée dans laquelle la religion n’est plus matière à conflit, est par ces expressions provocantes poussée à nouveau dans la direction opposée. N’oublions pas qu’en acceptant le hijab  - en se référant à la ‘liberté de religion’ - pour les fonctionnaires et dans les écoles, les attitudes et les coutumes signalées sous ‘1. b. c. d.’ apparaîtront sur base des mêmes arguments – nous le constatons déjà.

N’oublions surtout pas que tout un chacun sera dès lors libre d’exprimer ses opinions par la façon de s’habiller. Un T-shirt portant les mots “Allah n’existe pas” (ou autres phrases encore plus désobligeants) feront leur apparition dans les écoles et dans les administrations. On s’éloignerait alors de plus en plus d’une société pacifique..

Nous concluons que la véritable source du conflit n’est pas à chercher dans une soudaine réaction d’intolérance et d’islamophobie, mais dans l’imposition de symboles religieux frappants, à une société qui justement s’est défaite de tels symboles dans l’espace public.

Bien des adversaires de l’interdiction du foulard ne veulent considérer que la situation en Belgique et ne se rendent pas compte du caractère mondial du mouvement. Ils pensent que les musulmans n’ont pas encore eu le temps de s’adapter à notre culture, alors qu’il s’agit en fait d’un mouvement inverse organisé qui s’est développé récemment dans le but de les empêcher de s’intégrer. Ne se rend-on donc vraiment pas compte de ce qui se développe en Algérie, au Soudan, en Egypte, au Cashmir, en Turquie, au Pakistan, en Afghanistan, en Malaisie et dans un grand nombre d’autres pays? Au Royaume Uni, pris par certains comme exemple, les concessions se succèdent: le niqab et la burqa rencontrent un succès grandissant ; les manifestations exigeant la mort de Salman Rushdie ont pu avoir lieu sans être dérangées ; dans bien des quartiers les tribunaux charia fonctionnent.

4.  Le pour et le contre du hijab

a.  Les arguments favorables au hijab

A la question posée de la raison de porter le hijab, de jeunes musulmanes interrogées répondent comme suit. (i) « Dieu l’exige de moi: le hijab est fondamental et est exigé de toute musulmane. » Elles s’en réfèrent alors aux versets susmentionnés (‘2. a.’). « Mon foulard est un symbole objectif de mon attachement au Coran. » (ii) « Je le porte aussi pour moi-même, afin d’éviter que des hommes me regardent avec certaines intentions, la plupart d’entre eux considérant la femme comme un objet de concupiscence. » (iii) « Je porte le hijab de mon plein gré, mais je n’oublie pas que d’après le verset S 103, 3,  nous devons encourager les autres à faire le bien, ce qui vaut également pour le port du foulard. » (iv) « En me séparant du hijab ce serait comme si j’abandonnais mon identité; ce serait me défaire de mon cœur. » (ou « me déculotter »). (Ces déclarations sont extraites de lettres de musulmanes).

b. Objections contre ces arguments.

Rien ne nous permet de douter de la sincérité de ces jeunes filles. Elles représentent au moins une partie de celles qui portent le foulard. Le degré de leur représentativité est difficile à chiffrer, faute de recherches scientifiques. Il s’agit de toute façon de jeunes filles vertueuses, pieuses et courageuses qui méritent tout notre respect. Leurs lettres témoignent d’une politesse et même d’une gentillesse que certains chroniqueurs et auteurs d’articles d’opinion pourraient prendre pour modèle.

Il est de ce fait d’autant plus pénible de devoir leur expliquer que depuis leur enfance elles ont été faussement endoctrinées, peut-être par leurs parents, mais surtout par les professeurs de religion et les imams. Voici ce qui ne leur a jamais été expliqué :

(1) Les règles d’habillement édictées pour une culture se mouvant au septième siècle dans une région désertique, sont immanquablement liées à l’époque et au lieu et ne peuvent dès lors avoir une portée générale.

(2) Les docteurs de la loi islamique et les différentes cultures islamiques ont interprété ces règles d’une façon variée et dès lors il serait normal que les musulmanes de notre époque s’adaptent aux coutumes qui sont ici de mise.  Personne ne s’offusquera que, fidèles à leur foi, elles soient modestes et sobres en matière p. ex. de parfum et de maquillage.

(3) Dans la mesure où l’on désire ne pas attirer l’attention sur soi, dans l’esprit du Coran et de la Sunna, le mieux est de ne pas porter de hijab, étant donné que la personne qui le porte attire plus l’attention que celle qui n’en porte pas.

(4) La référence à la ‘fitna’, comme si la séduction sensuelle exercée par la tête féminine non couverte ferait tourner la tête aux hommes, implique – mis à part le ridicule d’une telle affirmation – que la femme, une fois de plus, serait responsable d’un éventuel comportement de la part de l’homme. En outre, ce qui est ‘séduisant’ diffère d’une culture à l’autre.

(5) Selon la Sunna traditionnelle le corps masculin doit toujours rester couvert du nombril jusqu’aux genoux. Où donc une telle règle est-elle observée sur les terrains de sport et dans les piscines? Les règles seraient-elles donc uniquement applicables auxfemmes ?

(6)  Le mot ‘fitna’ a également la signification de perturbation, de désordre, de discorde. Les disputes récentes à la suite du maintien têtu du foulard, sont une forme de ‘fitna’ qui ne contribue pas à la compréhension entre les musulmans et les autres.

(7) S’il est vrai qu’une partie des musulmanes porte volontairement le hijab, il ne s’agit là que d’un élément de la question. Une enquête publiée par l’hebdomadaire flamand HUMO (2007) a révélé que 35% des hommes musulmans sont en faveur du port obligatoire du hijab. Ces hommes sont en mesure, en tant que père, époux ou frère d’exercer une pression plus ou moins forte sur les femmes de leur entourage. Certaines accepteront docilement la soumission.

Ce qui rend perplexe est le fait que l’on trouve des féministes qui présentent ces rapports de force inégaux comme un exemple d’émancipation de la femme. (voir ci-dessus: ‘2 g (2)’ et ‘1 d (3) (iv-v)’).

(8) Que se défaire d’un vêtement puisse provoquer pendant un certain temps un sentiment d’aliénation est certes vrai, mais cela ne durera pas plus d’un mois. Cette aliénation ne se produira d’ailleurs principalement que lorsque le hijab est porté depuis l’enfance, ce qui par définition na pu être le résultat d’un libre choix.

(9) Enfin, pour ceux qui seraient amenés à craindre qu’ils seraient infidèles à un commandement divin en enlevant le foulard, il y a lieu de rappeler que la caractéristique la plus générale de Dieu dans le Coran est qu’il est miséricordieux (Bismillahi rahmani rahim : Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux ). Lorsque le Coran mentionne une règle à laquelle en raison des circonstances ou de pressions extérieures il est impossible de se conformer, il la fait suivre par l’addition réconfortante: “Dieu est miséricordieux”. Le respect pour l’islam augmenterait considérablement si cette tendance fondamentale du Coran était davantage mise en lumière. 

c. Arguments en faveur d’une interdiction limitée du foulard

Afin d’éviter tout malentendu nous voulons préciser la tendance générale de notre position.

(1) La communauté musulmane apporterait une contribution positive à la coexistence pacifique dans une société sécularisée, en prenant ses distances  - comme l’ont fait p. ex. les autorités marocaines -  de l’idée que le port du foulard, et en particulier du hijab, type al-Amira, relève d’un commandement divin. Les imams et les professeurs de religion devraient cesser d’inculquer de tels commandements aux jeunes. Lorsque des femmes adultes, sans être dirigées par des influences qu’elles auraient subies depuis leur enfance, décidaient de porter un certain habillement, il y a lieu de respecter leur choix, sans pour autant en conclure que ce choix serait meilleur qu’un autre. Si en plus elles refusaient un emploi auquel des conditions vestimentaires différentes seraient attachées, il s’agirait de leur propre choix avec toutes ses conséquences.

La société pacifique serait bien servie si chacun omettait de se prévaloir en permanence et bruyamment de sa propre philosophie. Ce qui n’exclut pas que les fidèles puissent s’assembler dans leurs églises et mosquées pour s’unir dans leur foi. Les gens raisonnables ne verront d’ailleurs aucun inconvénient à ce qu’ils le fassent de temps en temps sur la voie publique. Songeons à une visite du pape, à des funérailles publiques ou à la fête de Aid Fitr (fin du ramadan).

Nous plaidons pour que tout un chacun adopte un profil bas en matière d’expression de ses opinions. Il ne s’agit donc de toute façon pas d’une plaidoirie en faveur d’une interdiction généralisée du hijab. Une telle interdiction compromettrait trop le principe de la liberté d’opinion et de religion et il vaut mieux qu’une telle évolution puisse se réaliser doucement et progressivement.

Toute critique énoncée à l’encontre d’une interdiction générale du foulard est dès lors, dans le présent contexte, sans objet.

(2) En revanche une interdiction générale du port dans les espaces publics

d’habillements couvrant le visage (niqab ou burqa), est une nécessité absolue.

(a) Il s’agit d’un principe d’ordre public: cacher le visage constitue un danger social. Il rendrait impossible ou à tout le moins hasardeux de pouvoir reconnaître les auteurs d’actes illégaux ou immoraux ou d’expressions d’hostilité (insultes). (A l’occasion du carnaval certaines villes permettent le port du masque, mais pour une période strictement définie).

(b) Sur base de l’interprétation islamique traditionnelle, ce type de voile symbolise sans nul doute l’appartenance exclusive de l’épouse à son époux, non seulement pour les relations intimes mais pour l’ensemble de sa personne. Sur base d’une vision humaniste moderne en matière de relations humaines, il s’agit là d’une discrimination inacceptable. Que la femme soit consentante en la matière n’y change rien : personne ne peut renoncer à des droits humains élémentaires.

(c) Au sein de l’islam la burqa ou le niqab n’a pas été imposé par les écoles de droit Hanéfites et Chiites, et depuis les mouvements de réforme aux alentours de 1900, la quasi-totalité des écoles de droit ne considèrent plus le port de ce genre de voile  comme un devoir religieux. Invoquer la liberté des cultes est dans ce cas totalement à exclure.

(d) La remarque qu’il s’agit d’un problème qui ne se pose guère en ce moment et qui n’est des lors pas urgent, semble appartenir à la politique de l’autruche. (i) La situation en France et en Grande Bretagne indique que bientôt le problème se posera nécessairement en Belgique. (ii) C’est lorsque le problème n’est pas encore pressant qu’il peut être résolu sans trop de résistance.

(3) D’autre part en ce qui concerne le port du hijab, nous défendons le principe que dans des situations bien définies, les symboles qui réfèrent à une religion ou à une philosophie peuvent être prohibés. Le droit à la libre expression de ses opinions, n’implique pas que cela puisse se faire en toute occasion. Une école catholique a le droit d’interdire à un enseignant de prôner l’athéisme en classe. Par ailleurs, un enseignant dans une école publique devra se tenir à l’obligation de neutralité.

Pour ces mêmes raisons un certain type d’habillement ou toute autre marque, qui référerait clairement à la conception philosophique ou religieuse d’une personne, pourra être interdit. Cela vaut pour les enseignants et les élèves dans une école qui enseigne principalement à des mineurs. Cela vaut également pour des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. D’autre part des entreprises (p. ex. la SNCB ou les Emirates Airlines) pourront pour toutes sortes de raisons qui leur sont propres imposer un uniforme ou un code d’habillement.

(4) Nous ne nous attarderons pas plus avant aux problèmes concernant les fonctionnaires. Limitons-nous à la remarque (complémentaire à ‘3. b.’ et ‘4. b. (1)-(9)’), que toute personne exerçant une autorité ou influence, interne ou externe, doit rendre impossible jusqu’au moindre soupçon d’une éventuelle partialité ; selon le mot célèbre d’un juge britannique « Not only must Justice be done, it must also be seen to be done » (Gordon Hewart, 1924)

(5) Un règlement établi pour les écoles primaires et secondaires, doit évidemment valoir pour l’école dans son entièreté. La proposition de faire une différence à partir d’un certain âge (16 ans p. ex.) en matière de mesures d’interdiction, résulterait en une discrimination entre élèves dans la même classe et rendrait le contrôle de l’application du règlement inopérant.

(6) Pour les écoles primaires, l’interdiction du hijab est évidente. D’ailleurs, dans beaucoup de pays musulmans il est d’usage que les règles vestimentaires ne s’imposent qu’à partir de la puberté : l’islam n’a jamais ’imposé le foulard aux filles impubères (ni d’ailleurs aux femmes après la ménopause : S. 24, 60). Il tombe donc sous le sens que faire appel dans ce cas à la liberté de religion est impossible.

Dans notre culture nous estimons en plus que les droits de l’enfant sont violés lorsque qu’une fille dans sa période d’incapacité est forcée d’accepter un carcan duquel elle ne pourra plus tard se libérer que difficilement. Etre « maître de sa propre tête » n’est évidemment pas applicable à l’enfant.

Plus fondamentalement il est de grande importance à cet âge d’insister sur ce qui unit plutôt que sur ce qui sépare. Toutes les occasions de division ou de discrimination, de toute nature, doivent être évitées.

(7) Le problème se situe donc surtout dans les écoles secondaires. Certes, les droits prévus à l’article 9 de la CEDH ne s’appliquent pas entièrement aux élèves puisqu’en tant que mineurs ils se trouvent encore sous la tutelle de leurs parents. Cela n’empêche qu’un certain droit de participation leur est accordé dans les questions qui les touchent. L’interdiction du foulard dans les écoles exige donc une argumentation plus détaillée.

(a)  L’école, et tout particulièrement la classe dans l’enseignement secondaire, crée des contacts intensifs entre jeunes, d’une telle force qu’ils peuvent perdurer pendant toute une vie, comme en témoignent les réunions de classe tenues souvent pendant des décennies. Ce lien interne est source d’expériences positives. Les interactions  et les amitiés, sans distinction de langue maternelle, d’origine ethnique ou d’opinions philosophiques ou religieuses peuvent laisser une marque indélébile de tolérance et de solidarité. Afin de permettre à toutes les opinions et sensibilités de se faire valoir dans une même mesure, il est souhaitablequ’aucune opinion ne prévale. Pendant des décennies il n’y a eu aucun problème à ce sujet. L’arrivée du hijab, et rien d’autre, est responsable pour la perte de consensus dans certaines écoles.

Comme nous l’avons exposé plus haut (‘2, g, (3)-(5)’) le foulard ne se limite pas à une simple référence à l’origine ethnique ou religieuse de celle qui le porte, comme ce pourrait être le cas avec une croix, une étoile, une petite main de Fatima ou un flambeau, pendus à une chaîne autour du cou.

Le foulard est l’expression d’une interprétation fondamentaliste du Coran et de la Sunna ; interprétation qui n’est d’ailleurs pas partagée par bon nombre de musulmans (voir ‘2. b.-f.’). Cela veut dire qu’autour de toutes sortes de questions de petites cliques peuvent se former, alors que dans l’enseignement chaque élève doit, en interaction avec l’enseignant et tous les autres élèves, parvenir à se former une opinion autonome et personnelle. Les questions auxquelles nous faisons allusion sont p. ex. les relations homme-femme, la théorie de l’évolution, l’homosexualité, etc.  La formation de tels groupes exclusifs, qui mène à ce qui en France est connu sous le nom de ‘communautarisme’ est néfaste pour le développement ouvert, individuel et personnel des jeunes.

(b)  La forte solidarité dans une classe ou école, ou dans une partie de l’ensemble, peut également montrer des aspects négatifs: tout contrôle mutuel pouvant conduire à influencer ou intimider. Ainsi la liberté de pouvoir ne pas porter de foulard, de défendre la théorie de l’évolution ou d’avoir de bons contacts avec des garçons, peut être remise en cause. Celui qui nie de tels mécanismes ne connaît rien à la dynamique de groupe ou n’a aucun contact avec les communautés musulmanes (ou est tout simplement de mauvaise foi). De telles situations sont mal vécues par les personnes intéressées et sont un frein dans la croissance vers une maturité libre et solidaire. Le caractère fermé du clan et la peur d’être accusée comme étant une ‘traîtresse’, avec en plus l’incertitude intérieure, empêchent souvent la personne intimidée à avouer le problème.

(c)  Le maintien rigide par certaines jeunes femmes musulmanes de l’exigence du port sans restriction du hijab, mène certaines à adopter un engagement personnel très fort dans cette attitude, à tel point que la tentation devient grande de poursuivre sur la voie du fondamentalisme, de laquelle il sera très difficile de plus tard rebrousser chemin. (Voir à ce sujet la ‘théorie de la dissonance’ de Léon Festinger). Les opportunités dans la vie professionnelle s’en trouveront considérablement réduites. Et ne parlons pas d’autres dérapages encore plus inquiétants, dans des directions extrêmes.

Mentionnons au passage que le site internet du groupe ‘De Leidraad’ (‘Le fil conducteur’) à Anvers, très impliqué dans les actions contre l’interdiction du foulard, propose parmi les types de foulards conseillés, plusieurs niqab (voiles couvrant le visage) (série de photos « Ahmed Bukhatir. This is my hijab »). Ce qui confirme notre thèse que l’expansionnisme salafiste n’est pas loin (voir p. ex. ‘3. c.’ ci-dessus).

(d)  Accepter que tout un chacun soit libre d’exprimer ses convictions philosophiques dans son apparence extérieure, a pour conséquence que d’autres expressions devront également être acceptées (p. ex. d’extrême droite), ce qui pourra mettre en danger la paix générale et la tolérance (voir ‘3. c.’ ci-dessus).

(e) Conclusion. Ces quatre constatations, ajoutées aux objections générales déjà mentionnées (‘3. c.’) à l’encontre du fait de se définir en permanence en tant qu’adepte d’un courant religieux particulier, suffisent amplement afin de justifier une interdiction générale du port du hijab dans l’enseignement secondaire.

L’idée que seules des règles particulières, applicables à certaines écoles, seraient acceptables ne tient pas compte du fait que les objections mentionnées ici sont fondamentales et ont donc valeur universelle. En outre, les excès négatifs actuels sont souvent la conséquence d’une dynamique intrinsèque: dès l’instant où un nombre suffisant d’élèves porteront le hijab, les problèmes surgiront. Il ne faut pas rester dans l’expectative de nouveaux incidents dans encore d’autres écoles et d’être encore une fois confronté à des bagarres. Et, répétons le: si les autorités judiciaires venaient à décider que la liberté d’expression religieuse était mise en cause dans des cas particuliers, seule une loi ou un décret pourrait permettre une décision généralisée.

d.  Les arguments avancés contre l’interdiction du foulard dans les écoles

La majeure partie des arguments utilisés dans des articles ou des lettres de lecteurs se trouvent déjà infirmés par l’exposé ci-dessus. Ces écrits véhiculent surtout des généralités et semblent être plutôt dirigés contre une possible interdiction du foulard dans les lieux publics, ce qui n’est pas en question ici. Nous répondons à quelques arguments souvent répétés.

(1) Violation de la liberté de religion et de la liberté d’expression.

Les utilisateurs de cet argument, y compris des ‘experts’, semblent ignorer les problèmes mentionnés sous ‘1. a. b. c. d.’.  Ils ne se rendent pas compte que l’application généralisée des pratiques ayant cours dans les pays musulmans, peut être perturbatrice dans nos sociétés. La mesure dans laquelle les droits protégés par l’art. 9 de la CEDH est ici applicable, ne peut être déterminée qu’après un examen approfondi : nous n’en avons trouvé trace dans ces argumentations.

Le raisonnement repose sur le principe que le port du hijab relève de l’obligation religieuse. Nous avons battu en brèche cette allégation gratuite sous ‘2 a-g’. Le type d’habillement qui serait obligatoire ne fait nullement l’unanimité dans le monde musulman. La majorité au sein de la tradition Sunna optait autrefois pour la burqa ou pour le niqab avec jilbab (un vêtement qui enveloppe les formes du corps). Depuis 1900 environ les conceptions dans le monde musulman ont évolué. Au demeurant, ce raisonnement ne tient pas compte des arguments qui plaident de manière positive pour une interdiction à l’école que nous avons exposé sous ‘4. c. (4)-(5)’.

(2) Les arguments qui concernent la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Ce problème n’entre pas en ligne de compte dans la présente discussion. Il s’agit ici de déterminer dans quelle mesure lescoutumes d’une religion particulière peuvent entrer en conflit avec celles des sociétés européennes. D’après le réseau auquel elles appartiennent, nos écoles peuvent fixer leur règlement, soit individuellement, soit collectivement. Les litiges éventuels peuvent être soumis au juge qui pourra statuer si certains droits de l’homme sont menacés. Les parlementaires peuvent eux déterminer si en raison de l’intérêt général certains droits fondamentaux peuvent être soumis à certaines limites.  Pour le reste tout ceci n’a rien à voir avec les relations entre l’Eglise et l’Etat.

(3) Dans un  texte récent, signé par plusieurs personnalités flamandes (De Standaard 26/9/2009) nous retrouvons des généralités que personne ne conteste, mais aucune analyse des faits ni d’argumentation détaillée.

(a) On commence par annoncer le principe « Le respect doit prévaloir ».:

Dans la mesure où une certaine forme de respect aurait disparu, ce vœu sera généralement souscrit.

« La discussion et la concertation sont importantes ». Certes, mais de quelle façon?  Il y a eu le dialogue interculturel, stimulé par le ministre Dupont ;  il y a eu une importante série de débats, dirigée par le spécialiste de l’histoire comparée des religions Jacques Rifflet ; en Flandre le ministre Keulen a formé la Commission Marc Bossuyt ayant pour mission ‘l’introduction à la citoyenneté » (inburgering). L’auteur de ces lignes a pris part à ces différents dialogues, auxquels des personnes d’origine étrangère ont participé. Nous avons aussi débattu à maintes reprises avec des  musulmanes et des musulmans (e. a. avec Tariq Ramadan) tant à l’occasion de forums publics que sur le site internet ‘Kifkif’.  A ces occasions il n’est jamais apparu que ceux qui défendent le droit illimité de port du hijab  - même si la personne qui le porte serait magistrat -  étaient enclins à la moindre concession. De même, les directrices des écoles à Anvers et à Boom ont essayé en vain de trouver quelque compréhension pour leur point de vue.

La discussion détaillée nous permettra peut-être de progresser, comme nous nous appliquons de le faire dans le présent texte et en dialoguant avec différents groupes au sein du monde musulman, non pas uniquement avec les inconditionnels. Il ne s’agit pas de la remise en question de l’islam en tant que tel, mais bien de ceux qui s’appliquent à pousser la jeunesse dans une direction fondamentaliste.

(b)  Un certain nombre d’affirmations concrètes interpellent dans le texte incriminé.

« Nous ne pouvons tomber dans le panneau d’appliquer le principe de l’état laïc à une seule religion ou philosophie. » Une fois de plus le monde est mis à l’envers. Autant au sein de la société dans son ensemble que dans les écoles officielles en particulier le principe de la retenue s’était imposé depuis quelque temps : il n’y a pas lieu de faire étalage en permanence de ses opinions.Certains adeptes d’une seule religion (qui ne représentent même pas la majorité, voir ci-dessus ‘2. f.’), ont rompu cette retenue en se faisant porteurs de symboles qui représentent une interprétation fondamentaliste de cette religion. La protection d’une société qui se respecte, contre ce seul groupe qui rompt la discrétion, est considérée à tort comme une attaque contre l’islam dans son ensemble.

Nous lisons aussi que « la liberté des personnes ne doit être restreinte que lorsque la liberté d’autrui est menacée ». A cela il y a lieu de répondre que la liberté d’un chacun est indirectement menacée lorsqu’un seul groupe impose clairement des symboles religieux au sein d’une société sécularisée. Nous avons aussi souligné l’influence subtile que peuvent exercer 35% des (hommes) musulmans qui estiment que le port du hijab est une obligation (voir ‘4. b. (7)’). En plus, la liberté au sein de l’école est nécessairement menacée tôt ou tard en raison des mécanismes indiqués sous ‘4. c. (5) (b)’.

« La pression sociale afin de porter le foulard est remplacé par la pression du système pour ne pas le porter. » Une telle ‘pression sociale’ n’a aucune base raisonnable d’exister et est le résultat de rapports de domination qui sont des lors discriminatoires et intimidants, alors que des mesures générales justifiées répriment les abus et réalisent l’égalité pour tous. La formule célèbre du père Lacordaire par rapport aux interdictions et aux commandements dans une société reste toujours valable : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

En ce qui concerne l’enseignement pour adultes, celui-ci n’est de toute façon pas soumis aux mesures prises pour les écoles secondaires.

Nous nous bornons à ces remarques, car cela deviendrait monotone et en plus trop facile de réfuter tous les ‘arguments’ contenus dans le texte en question.

(c)  L’appel qui a été fait, afin de revenir sur les décisions d’ordre général qui ont été prises, ne tient dès lors pas la route en face d’une argumentation solide.

Les raisons sont suffisamment nombreuses pour ne pas accepter qu’une seule interprétation fondamentaliste d’une religions’impose en permanence au sein d’une classe. Voudrait-on que toute opinion, même antireligieuse ou antisociale puisse se prévaloir des mêmes droits ?

Ne manifesterait-on d’ailleurs aucune sympathie à l’égard d’enseignants qui doivent p. ex. expliquer la théorie de l’évolution et se trouveraient confrontés à un mur de refus, symbolisé par des hijabs ?

Le plaidoyer pour un ‘pluralisme actif’ est louable. Mais cela voudrait-il dire que seul un des groupes en présence pourrait manifester ouvertement son interprétation particulière d’une religion ? Le pluralisme ne signifierait-il pas plutôt que des élèves d’horizons différents soient objectivement informés des croyances religieuses et des usages de leurs condisciples? Qu’ils développent une sympathie réciproque pour la Fêtes des Lumières juive, la fête de Noël chrétienne, la fin du ramadan musulman, etc, dont l’histoire pourrait leur être racontée? Des discussions peuvent être organisées au sujet des différentes religions et philosophies. Des travaux peuvent être réalisés autour de thèmes comme ‘la miséricorde’ dans l’islam, le ‘aimez vos ennemis’ du christianisme, la ‘tolérance’ des laïcs, mise en évidence dans l’histoire de ‘Nathan le Sage’, etc. Le résultat peut en être le respect mutuel. Confronter les autres de façon continue et à leur corps défendant avec ses propres opinions, parfois étriquées, n’y contribue d’aucune manière.

« Que le vrai respect revienne. » En effet !

(4) D’autres textes insistent sur le fait que les musulmanes doivent pouvoir exprimer leur identité. N’est-ce pas étrange que les musulmans quant à eux ne sont pas tenus à une même expression? Ne s’agit-il pas là d’une discrimination ?

Le Père Damien portait une soutane, selon l’usage de son époque, mais il exprimait sa véritable identité par le fait d’être lépreux, conséquence de son don total au service de son prochain. Nous avons tous des identités multiples : en tant qu’homme, femme, artistiquement doué ou pas, très ou moyennement intelligent, irascible ou paisible, ouvrier ou fonctionnaire, mère ou femme sans enfants, etc. Toutefois, celui qui place au cœur de son identité le témoignage de sa religion ou de sa philosophie, sera bien inspiré de ne pas l’exprimer par des signes extérieurs, car le véritable musulman, chrétien ou humaniste témoignera de son identité par sa manière de vivre et par son service aux autres.

Le désir de vouloir exprimer son identité personnelle par le port d’un uniforme est par ailleurs assez singulier. Surtout lorsque, étrangement, certains veulent y voir une recherche de la diversité!  Que des adolescents éprouvent le besoin de prendre exemple à des modèles et de confirmer leur identité par l’appartenance à un groupe, est compréhensible. Toutefois, le cheminement vers l’âge adulte consiste en l’acquisition d’une véritable identité, toute personnelle. Les uniformes – mis en part le costume professionnel – réduisent l’individu à rien de plus qu’à un petit maillon dans un système universel, à un minuscule suiveur anonyme au sein d’un mouvement qui règle tout.

Terminons en répétant que la référence au foulard ou au voile en tant que symbole distinctif de l’identité musulmane manque toute justification dans la tradition musulmane. Il ne pourrait en être autrement car en effet presque toutes les femmes de ‘Dar-al-islam’ (‘domaine de l’islam’) étaient indistinctement des musulmanes.

Un seul aspect de la question de l’identité sur lequel la tradition ne laisse planer aucun doute est que le voile indiquait que l’on n’était pas esclave. Ne serait-ce pas là plutôt une raison de plus pour couvrir du manteau de Noë un tel symbole ?

(5) Dans la mesure où l’expression d’une ‘identité’ serait admise dans une école, il y aurait lieu de l’étendre à tous et à toutes. Le ‘skinhead’ d’extrême droite, le ‘punk’,  le ‘gothic’, doivent alors pouvoir exprimer également  leur ‘identité’. Serait-ce la bonne voie ? Le règlement scolaire doit-il admettre tous les tatouages ou les piercings au visage (expression d’une certaine identité) ou ne doit-on sévir qu’à partir de 56 étoiles ou d’un visage transformé en une véritable quincaillerie (exemples bien connus en Flandre)? Bref, en face d’une règle simple et générale en matière d’aspect extérieur, se dessine une possibilité infinie de dérèglements.

 (6)  Autre slogan : « L’important n’est pas ce que l’on porte sur la tête mais ce qui se trouve dans la tête ». A quoi l’on peut répondre par un autre slogan : « La foi se trouve dans la tête et n’est pas une étiquette placée sur la tête. ». La vérité est que l’habillement et le couvre-chef peuvent ou non symboliser ce qui se trouve dans la tête. Le crâne chauve de Yul Brynner n’avait aucune pertinence idéologique, celui d’un skinhead en a bien une. La même chose vaut pour les foulards. Le couvre-chef de nos mères et grand-mères n’avait aucune signification symbolique, si ce n’est à l’église. Celui qui fait à ce sujet la comparaison avec le hijab, démontre qu’il n’a rien compris au problème.

(7) Certains réduisent les difficultés actuelles aux écoles à des comportements vexatoires qu’il suffirait de juguler. Ils ne se rendent pas compte que l’endoctrinement au sujet du commandement divin de porter le hijab se fait dans les leçons de religion, souvent complété par les recommandations des parents. S’agit-il là de ‘comportements vexatoires’ contre lesquels une direction d’école devrait prendre des mesures ? Il n’est point besoin d’être grand psychologue pour savoir que l’intimidation repose sur la peur, non seulement la peur de faire ou de ne pas faire certaines choses, mais surtout la peur d’avouer l’intimidation. Problème impossible à résoudre ! La seule solution doit se trouver dans une déclaration sans équivoque d’imams, faisant autorité, expliquant que le hijab n’est pas un commandement divin et que l’on peut être toute aussi bonne musulmane avec ou sans cet attribut.

(8) Il y a encore la référence qui est faite au risque de la création d’écoles islamiquesVoilà une fois de plus un raisonnement à rebours. Lorsque des élèves ou leurs parents décident, à cause de l’interdiction du hijab, de quitter une école qui offre un enseignement de qualité, la preuve est une fois de plus fournie de la motivation extrémiste qui en est à l’origine. (voir la déclaration du grand mufti sous ‘2. f.’).  Nous sommes persuadés que la grande majorité des musulmans rejettera un tel fanatisme. Que ceux qui ne le font pas poursuivent donc leur chemin : en ce qui concerne les conséquences négatives qui en résulteront, ils n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

(9) Certains politiques et commentateurs donnent l’impression de vivre dans un monde différent. Ils présentent le hidjab (et même le niqab) comme l’expression d’une diversité ethnique, impliquant que les réactions négatives à ce sujet seraient de nature xénophobe, voire raciste. Voilà qui est en flagrante contradiction avec l’affirmation de la majorité écrasante des adeptes du foulard, qu’il s’agit d’une obligation religieuse et qui dès lors fait appel au principe de la liberté des cultes.

Le refus obstiné de renoncer à ce genre d’habillement dans des contextes particuliers (école, service public) réfute l’aspect purement ethnique. Que des Ecossais portent parfois le kilt n’offusquera personne. De même, aucune personne sensée ne protestera lorsque des jeunes filles d’origine berbère se parent, à certaines occasions, d’habillements ancestraux, même si le voile en faisait partie. Bien des femmes noires déambulent dans Bruxelles dans des habits typiques pour l’Afrique Centrale et personne ne s’en formalise.

Il ne s’agit évidemment pas dans la présente discussion d’une diversité ethnique, mais d’un coup d’arrêt porté à la tendance vers une société pacifiée par la sécularisation.

(10) L’argumentation en faveur de l’interdiction générale du foulard dans les écoles publiques est par ailleurs suffisamment solide pour ne pas avoir à y chercher un comportement négatif envers l’islam : cette religion est traitée de manière égale à toutes les autres ; seulement il ne bénéficie d’aucun traitement de faveur en matière d’habillement

Conclusion générale.

a. Notre exposé se devait d’être circonstancié afin d’examiner les différents aspects du problème, au départ de plusieurs point de vue. Nous nous devions d’autre part de donner une réponse à divers arguments qui paraissent dans les médias.

Le chapitre 1. a voulu démontrer que l’extension de la liberté de religion à toutes les règles de l’islam est problématique, étant donné que cette religion s’occupe de larges domaines de la vie en société. Les 56 états membres de l’OIC sont du même avis, puisqu’ils ont décidé que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est subordonnée à la Charia (‘1.c.’).  Sous ‘1.d.’ nous avons indiqué une série d’exemples concrets de situations conflictuelles qui en découlent. Pour la question du foulard une simple référence à la liberté de religion n’est donc pas pertinente (‘1. d. (4)’).

La discussion au chapitre 2. a démontré que, à l’exception du commandement très explicite de couvrir le pubis et les seins, le Coran n’impose aucune règle péremptoire en matière d’habillement. Cette donnée est confirmée par le fait de la diversité dans les interprétations des spécialistes de la loi coranique et dans les usages locaux. Etant donné l’absence d’un commandement sans équivoque, conclure à une violation de la liberté de religion est impossible. Ce qui est certain c’est que la récente progression duhijab al-Amira provient de l’interprétation fondamentaliste d’une tradition islamique, au demeurant fictive.

Le chapitre 3, a évoqué le fait – peu ou pas abordé dans les discussions actuelles – que depuis les années cinquante notre société a évolué vers une pacification par la voie de la sécularisation. Il est devenu normal de ne pas confronter les autres, sans y être invité, soit dans le monde professionnel, soit à l’école publique, et en général même dans l’espace public, à ses propres opinions religieuses ou philosophiques, et surtout pas de façon voyante. La diffusion de l’hijab est apparue sous une influence fondamentaliste internationale et a rompu la tendance pacificatrice. Le retour de la manifestation publique de convictions religieuses, philosophiques ou politiques, peut mettre en péril l’évolution vers une société pacifique. Ce développement est à l’origine des conflits actuels. Il n’y a par ailleurs pas lieu de légiférer en ce qui concerne l’espace public, si ce n’est en ce qui concerne le burqa et le niqab.

Le chapitre 4. s’est attaché à une analyse détaillée de pratiquement tous les arguments avancés pour ou contre l’interdiction du foulard dans les écoles ouvertes aux mineurs d’âge. Nous avons en particulier traité de certaines positions avancées récemment par quelques personnalités en Flandre.

Nous sommes parvenus à la conclusion qu’aucun argument solide ne permet de remettre en question la décision de réseaux scolaires d’interdire le port du foulard.

b.  L’auteur du présent texte s’est attaché depuis de nombreuses années à l’étude de l’islam et garde l’espoir qu’un islam pacifique, en harmonie avec la totalité des droits de l’homme demeure possible, à tout le moins en Europe. Cet espoir demeurera vain aussi longtemps que des courants salafistes ou fondamentalistes auront le dessus dans l’enseignement de la religion, portés par un certain nombre d’imams.

N’oublions toutefois pas que dans le passé, des courants se sont manifestés qui ont ouverts la voie à un islam moderne. Il s’agit en particulier du mouvement Mu’tazila (8ième – 9ième siècles) qui a mis l’accent sur le point de vue que le Coran est une entité créée par Dieu et non une caractéristique inhérente de Dieu. Une telle vision permet l’étude moderne et scientifique des textes sacrés. En outre, l’étude des grands philosophes arabes, en particulier Ibn Rusd (Averroës) peut contribuer au renouveau.

A notre époque cette voie est ou a été suivie par, entre autres, Mohammed Arkoun, Malek Chebel, Faslur Rahman, Nasr Hamid Abû Zayd, Abdelmajid Charfi, Farid Esack, Rachid Benzine, etc. Les efforts accomplis par ces penseurs courageux (songeons au sort d’Abû Zaid, déclaré apostat en 1995 et depuis hors-la-loi) sont contrecarrés par la lutte fondamentaliste pour la propagation du hijab et des thèmes traditionnels qui l’accompagnent.

Il n’empêche que c’est l’approche progressiste du Coran et de la Sunna qui permettra l’accession à une société où chrétiens, musulmans et laïcs pourront vivre ensemble en paix.

« L’islam des Lumières »  prévaudra-t-il ou au contraire l’avenir est-il au fondamentalisme ?

La réponse à cette question dépendra pour une grande partie des intellectuels et des politiques européens et du camp dans lequel ils se rangeront dans cette querelle.

Addendum (7/3/2010)

Quelques jours avant l’envoi de cette brochure la presse a fait mention (5/3/2010) d’un avis d’un ’auditeur du Conseil d’Etat où, contrairement à l’avis du 8/9/2009, la thèse est défendue que ni les directions des écoles, ni le Conseil de l’Enseignement Communautaire Flamand auraient le droit d’interdire le foulard islamique.

A ce sujet il y a lieu de faire les remarques suivantes.

(a) La constatation qu’un auditeur du Conseil d’Etat arrive à des avis divergents dans un laps de temps de moins d’une année, bien qu’aucun nouveau fait ait été mis au jour, illustre parfaitement notre thèse que les différents aspects de ce problème n’ont pas un caractère d’évidence, même pour des juristes chevronnés.  Cette impression est encore renforcée par la proposition de l’auditeur de demander le conseil de la Cour Constitutionnelle.

Il s’ensuit que la contribution au débat que nous proposons ici peut avoir une certaine pertinence.

(b) Notre étude met en lumière au moins deux conclusions essentielles.

(i) Des normes et coutumes acceptées ou imposées par l’islam en tant que religion, peuvent être incompatibles avec des lois et coutumes Européennes et même avec la ‘Convention européenne des droits de l’homme’.

(ii) Le ‘foulard islamique’ ne peut être considéré, même en islam, comme une obligation religieuse généralement admise.

L’application de l’article 9 CEDH et des textes similaires concernant les Droits de l’Homme, est donc très discutable dans ce domaine.

Ceux qui n’acceptent pas cette interprétation devraient indiquer clairement quelles expressions d’une opinion ou d’une identité relèvent ou ne relèvent pas de l’article 9 CEDH.

(c)  Si on accepte néanmoins que le port du foulard (et éventuellement de la burqa, du niqab, etc)  relève des droits humainsprotégés dans tous les contextes, il faut conclure d’un point de vue juridique que seuls les parlements peuvent décider dans quel cas spécifiques une dérogation de article 9 serait acceptable pour des raisons d’ordre public.  Compte tenu de la divergence des opinions, un avis de la Cour Constitutionnelle pourrait apporter des clarifications.

(d) Même sans aucune référence à l’article 9 CEDH,  il peut être utile, afin d’éviter une fois pour toutes l’agitation autour de cette question, que le parlement encourage les réseaux scolaires à  chercher un consensus à propos d’un règlement plus ou moins uniforme, afin d’éviter une concurrence inopportune dans ce domaine.

Pareillement, une réglementation unique pour les services publics  pourrait éliminer les anomalies actuelles et exclure des dérives électorales.

De telles mesures réaliseraient un pas de plus vers la sécularisation et la pacification de notre société.

 

Etienne Vermeersch

Professeur de philosophie émérite (université de Gand)

Vice-recteur honoraire de l’Université de Gand

Ancien président du ‘Comité consultatif de Bioéthique’.

 

Huis van Oostenrijk, 5

9230 Wetteren,

 

tel. 09 2521334

E-mail:  etienne.vermeersch@ugent.be

Informations bibliographiques

Ce texte s’est inspiré d’une lecture poursuivie depuis de longues années au sujet de l’islam et des religions en général. Nous faisons mention ici d’un petit nombre de travaux.

* Dictionnaire de l’Islam religion et civilisation, Encyclopedia Universalis, Paris, 1997

* Dr. J. J. G. Jansen, Inleiding tot de islam, Muiderberg, 1987

* Jacques Rifflet, Les Mondes du Sacré, Etude comparée des voies du sacré en Occident et en Orient, Editions Mols, 2003

* Lucas Cathérine, Islam voor ongelovigen, Epo, Berchem, 1997

* Maqsood Ruquaiyyah, De islam, Zuidnederlandse Uitgeverij, Aartselaar, 1996.

* Tariq Ramadan, Peut-on vivre avec l’islam ? , Favre, Paris, 2004

* Malek Chebel, Manifeste pour un islam des Lumières. 27 propositions pour réformer l’islam, Paris, Hachette, 2004.

* Mohammed Arkoun, Islam in discussie. 24 vragen over de islam, Contact, Amsterdam, 1993

* Albert Hourami, A history of the Arab peoples, Harvard U.P., 1991

* Maxime Rodinson, Mahomet, Ed. du Seuil, 1994

* Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Albin Michel, Paris, 2004

* Ghassan Ascha, Du statut inférieur de la femme en islam, l’Harmattan, Paris, 1987.

 

Les traductions néerlandaises du Coran sont reprises de Fred Leemhuis, Het wereldvenster, 1990 ; les traductions françaises sont empruntées à celle de D. Masson ,La Pléiade, 1967. Elles ont été comparées aux traductions en néerlandais par le prof. dr. J.H. Kramers, drs Asad Jaber et le prof. dr. J.G.J. Jansen, Arbeiderspers, 1997; et la l’édition officielle en anglais de la République islamique iranienne par M.H. Shakir, Ansaryan Publications (s.a.). D’autres traductions ont été consultées sur l’internet, y compris les tafsirs ou commentaires traditionnels.

 

Un grand nombre de textes et de hadiths se rapportant aux sujets discutés ici, ont été consultés avec un esprit critique, sur l’internet.

 

Le texte néerlandais a été traduit par Andries Van den Abeele en étroite collaboration avec l’auteur (EV)qui est seul responsable de toutes les erreurs.